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Le travail galère
Camille Dorival, Alternatives Économiques, octobre 2003.

  

Le nouveau film documentaire de Pierre Carles donne la parole à des RMlstes contents de leur sort. En toile de fond, la déshumanisation des relations de travail.

Le titre est provocateur : Attention, danger travail. Le film ne l'est pas moins, comme les œuvres précédentes de Pierre Carles. Des chômeurs de longue durée défilent devant la caméra pour expliquer qu'ils sont bien contents de ne plus travailler, ne plus travailler, que leur RMI leur suffit amplement pour vivre et que, pour rien au monde, ils ne retourneraient « perdre leur vie à la gagner ». Tous expriment leur désarroi et leur rasle-bol face à la brutalité du monde du travail contemporain. Salariés surexploités, méprisés, licenciés sans ménagement, ils ont eu des expériences telles qu'ils ont préféré choisir de ne plus travailler, quitte à limiter de manière drastique leur consommation. Une solution qui leur permet de souffler enfin.

Le film montre bien ce qui justifie ce choix la déshumanisation de certaines relations de travail. On voit ainsi des salariés de Domino's Pizza contraints de se plier à des normes comportementales absurdes, ou des téléopérateurs de Téléperformance se faire harceler par leur superviseur, qui exige d'eux, avec obstination, qu'ils soient persuasifs et souriants au téléphone.

Cette critique radicale de la société salariale fait mouche, mais elle trouve sa limite quand elle laisse à penser que le fait d'être chômeur, en particulier chômeur de longue durée, est un choix offert à chacun. Car le risque ici est d'alimenter le discours de tous ceux qui souhaiteraient supprimer le RMI, sous prétexte qu'il s'agit d'une « trappe à pauvreté » qui désincite les chômeurs à retravailler : puisqu'ils peuvent vivre bien sans rien faire, pourquoi se fatigueraient-ils à travailler pour gagner à peine plus ?

Les études sociologiques démontrent que la plupart des RMIstes ne se satisfont pas de leur situation ; ils aimeraient trouver ou retrouver un emploi. Par aliénation vis-à-vis de la norme dominante ? Sans doute, mais pas seulement. Le travail est aussi un facteur d'intégration et de reconnaissance sociale, un élément de construction identitaire des individus. Au-delà, les chômeurs interviewés disent se contenter de leur RMI pour vivre. Vu le niveau actuel de ce minima social (411,70 euros par mois pour une personne seule), on voit mal comment vivre convenablement avec une telle somme, même en réduisant sa consommation. C'est bien ce que répètent depuis des années les mouvements de chômeurs.

Face aux « souffrances psychologiques, pertes d'efficacité individuelle et collective, retrait du travail » qu'entraînent les nouvelles formes d'organisation du travail (1), la solution passe-t-elle par le retrait individuel ou par l'action collective ? En mettant en avant des itinéraires de vie en rupture totale avec le système dominant, Pierre Carles entend éveiller le désir de vivre autrement chez le spectateur et contribuer à l'éveil des consciences sans lequel ne pourra pas émerger d'action collective. Reste à savoir si ce même spectateur, en sortant, ne remontera pas dans sa voiture avant d'aller manger une pizza au restaurant avec les copains. Toutes choses qui supposent de retourner au boulot le lendemain.

(1) Selon les termes du rapport du Conseil économique et social, « La place du travail », de juillet 2003, disponible sur www.conseil-economique-et-social.fr/ces_dat2/2-3based/base.htm. Voir également l'essai Travailler pour être heureux ?, par Christian Baudelot et Michel Gollac, éd. Fayard, 2003.

Les précédents films de Pierre Caries sont disponibles en VHS. Voir notamment Pas vu pas pris (1998) et Enfin pris (2002), deux films qui stigmatisent le journalisme télévisuel d'aujourd'hui. Contact : C-P Productions, 9, rue du Jeu de Ballon, 34 000 Montpellier, courriel : [email protected]