Pierre Bourdieu |
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sociologue énervant |
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Des entretiens
avec l'animal |
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La transgression gay. | ||||||||
Entretien avec Catherine Portevin et Jean-Philippe Pisanias, Télérama, n°2535, 12/08/1998. 1. Pierre Bourdieu
: L'homme décide,la femme s'efface,
entretien avec Catherine Portevin, Télérama n°2532, 22 juillet 1998.
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ELERAMA : Pour disqualifier l'homosexualité, on la dénonce comme une pratique contre nature. Vous dîtes que la nature n'a rien à voir là-dedans...
PIERRE BOURDIEU : Bien sûr que non. Et pourtant, cette
idée d'union contre nature réapparaît dans le débat sur le Contrat dunion
sociale. Or, elle est d'abord une construction sociale et historique : la division stricte
entre hétéros et homosexuels s'est cristallisée très récemment, après 1945. Auparavant,
les hétérosexuels pouvaient, à l'occasion, avoir des pratiques homosexuelles. Mais dans
notre système symbolique, le rapport sexuel actif reste seul conforme à la " nature
" de l'homme, la sexualité passive étant typiquement féminine. L'opposition
actif/passif, pénétrant/pénétré, identifie le rapport sexuel à un rapport de
domination (le pénétrant étant le dominant). Donc, l'homosexuel est féminisé parce
qu'il entre dans une relation sexuelle qui ne convient qu'à une femme. En ce sens, il est
contre nature. Il transgresse cette frontière, que les Romains connaissaient bien : si
l'homosexualité active avec un esclave était tolérable, toute relation passive était
évidemment monstrueuse. Contre nature, cela veut dire en fait : contre hiérarchie
sociale. Aussi longtemps que le dominant se conduit en dominant, ça va. S'il adopte les
pratiques par lesquelles il est susceptible de devenir dominé, ça ne va plus. TRA : A quelles conditions, alors, le couple homosexuel
pourrait-il être reconnu comme une alternative au modèle dominant? TRA : Pourquoi vous êtes-vous engagé auprès du mouvement gay et lesbien? P.B. : Le point de départ a été une lettre que j'ai reçue d'un homosexuel qui travaillait à Air France : "Alors que mes collègues hétérosexuels peuvent bénéficier de réductions lorsqu'ils partent en vacances avec leurs copines, protestait-il, pourquoi faut-il que je paye plein tarif quand je pars avec mon copain ? " Les homosexuels sont, de fait, des citoyens de seconde zone. Alors, quand on vient brandir la menace du "communautarisme" (2) pour rejeter leurs revendications, j'ai du mal à voir autre chose qu'une mauvaise foi certaine, issue d'un fond catholique, souvent inconscient et mal assumé, qui autorise une forme de discrimination. Pour moi, il n'y a pas d'équivoque. C'est comme si l'on refusait aux homosexuels d'aller à l'école. C'est du même ordre. TRA : La dernière phrase du livre appelle carrément les homosexuels à rejoindre l'" avant-garde des mouvements politiques et scientifiques subversifs ". Qu'est-ce à dire ? P.B. : L'essentiel était de dire : ne restez pas isolés. Etant, pour des raisons sociologiques, très dotés en capital culturel (au moins pour les leaders), les homosexuels pourraient avoir un rôle dans le travail de subversion symbolique indispensable pour faire avancer le mouvement social. Act up est prodigieusement inventif. Le mouvement social gagnerait à bénéficier de cette inventivité ; il sait organiser les manifs, les banderoles, les slogans, les chansons, rituellement, mais il est peu créatif... Pour l'être, il faut le capital culturel. La pétition a été inventée par les intellectuels ; les médecins, quand ils manifestent, sont souvent imaginatifs ; enfin, parce qu'il y avait, parmi les leaders du dernier mouvement des chômeurs, des gens à fort capital culturel, ceux-ci ont osé occuper des lieux symboliques comme l'Ecole normale supérieure. TRA : Et, plus que la gay pride, c'est participer au mouvement social qui serait subversif pour les homosexuels? P.B. : Voilà. La gay pride est subversive dans un ordre symbolique pur. Mais cela ne suffit pas. Les gays et les chômeurs, par exemple, ne communiquent pas facilement. Car le mouvement gay s'organise autour de revendications considérées comme privées ; ce qui demeure suspect aux yeux de la tradition syndicale, qui s'est construite contre le particulier, la sphère personnelle, à laquelle il s'agissait justement d'arracher le militant. TRA : La subversion, ce pourrait être pour vous un projet politique? Quel est votre rôle exact dans cette liste " gauche de la gauche " qui se constitue, dit-on, sous votre parrainage pour les prochaines élections européennes ? P.B. : Tout ça n'est qu'invention, malveillante le plus
souvent, de journalistes. Nous avons parlé (3)
d'une "gauche de gauche " (et non de la gauche), c'est-à-dire, tout
simplement, d'une gauche vraiment de gauche, d'une gauche vraiment respectueuse des
promesses qu'elle a faîtes pour obtenir les suffrages des électeurs de gauche - en
matière de droits accordés aux étrangers ou aux homosexuels, par exemple. Parler de
" gauche de la gauche ", comme l'ont fait spontanément les journalistes,
c 'est transformer une intervention presque banale - n'est-il pas normal, de la part des
électeurs, de rappeler les élus à leurs engagements ? - en prise de position radicale,
extrémiste, facile à condamner. De là à inventer que des chercheurs, dont ce n'est pas
le métier, vont s'engager dans la lutte politique, il n'y a qu'un pas. (1) Le contrat d'union sociale aurait permis aux concubins qui le souhaitaient, hétéros ou homosexuels, de voir leur statut (en matière de fiscalité, de droit successoral et de protection sociale) assimilé à celui des couples mariés. Il a été critiqué comme un "mariage bis" par Irène Théry, qui préconise plutôt de reconnaître le concubinage sans autre démarche publique comme une situation de fait, créatrice des mêmes droits que le mariage. Voir son rapport : Couple, filiation et parenté aujourd'hui : le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Ed. Odile Jacob, 413 p., 85 F. (2) Système d'organisation sociale et politique qui reconnaît l'existence de communautés ethniques, religieuses ou sexuelles, avec, parfois, des droits spécifiques. Ce qui, en principe, est contradictoire avec la définition d'un citoyen abstrait sur laquelle est fondée la République française. (3) Voir Le Monde, 8 avril 1998. [sur nos pages]. |
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