Pierre Bourdieu |
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sociologue énervant |
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Des entretiens
avec l'animal |
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Les aventuriers de lîle enchantée. | ||||||||
Entretien avec Catherine Portevin et Jean-Philippe Pisanias, Télérama n°2536,19/08/98. 1. Pierre Bourdieu
: L'homme décide,la femme s'efface,
entretien avec Catherine Portevin, Télérama n°2532, 22 juillet 1998.
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ELERAMA: Vous dessinez, en conclusion de votre livre, un " amour pur ", seul " îlot enchanté " ou peuvent s'annihiler les rapports de domination entre les sexes. Qu'est-ce, en la circonstance, que la pureté? PIERRE BOURDIEU : Pur, cela veut dire indépendant du marché, indépendant des intérêts. L'amour pur, c'est l'art pour l'art de l'amour, l'amour qui n'a pas d'autre fin que lui-même. L'amour de l'art et l'amour pur sont des constructions sociales nées ensemble au XIXe siècle. On dit toujours que l'amour remonte au siècle des troubadours, ce n'est pas faux. Mais l'amour romanesque, tel que nous le connaissons, est vraiment une invention de la vie de bohème, et c'est entièrement le sujet de L'Education sentimentale, de Flaubert : la confrontation entre l'amour pur et l'amour " normal ",... TRA : C'est quoi, l'amour normal ? P.B. : C'est l'amour socialement sanctionné. L'amour pur s'invente chez les artistes, chez les gens qui peuvent investir dans une relation amoureuse du capital littéraire, du discours, de la parole... Tout ce que Flaubert a mis dans son roman. Les trois femmes qu'il met en scène sont chacune une des représentations de l'amour et se définissent les unes contre les autres. Mme Dambreuse est l'incarnation de l'amour bourgeois, Mme Amoult de l'amour pur et Rosanette, de l'amour vénal et mercenaire. Et l'amour pur se définit à la fois contre l'amour bourgeois qui a pour objectif la carrière, et contre l'amour vénal qui a pour objectif l'argent. Les deux étant en fait des amours mercenaires. TRA Est-ce que, dès lors, cet amour pur est forcément une transgression sociale ? P.B. : Oui, dans la mesure où il est en rupture avec l'ordre social qui demande d'autres gages. L'amour pur, c'est l'amour fou ; l'amour social convenable est un amour subordonné aux impératifs de la reproduction pas seulement biologique mais sociale. TRA : Il peut tout de même y avoir de l'amour, là-dedans aussi ? P.B. : Evidemment, c'est aussi de l'amour. Mais pas de
l'amour fou. C'est de l'amour conforme, de l'amour du destin social, l'amor fati. On
aime sa " promise ". Ces constats de la sociologie désespèrent
beaucoup en général. Or, quand on étudie statistiquement les mariages, on observe
qu'ils unissent des hommes et des femmes de même milieu. Autrefois, cette homogamie
était garantie et aménagée par les familles ; c'était le mariage de raison, de raison
sociale. Aujourd'hui, les garçons et les filles se rencontrent de manière apparemment
libre, et l'homogamie fonctionne toujours. Dans le Béarn, j'ai étudié les effets de ce
passage des mariages arrangés aux mariages libres, le bal devenant le
" marché " où se nouaient les unions d'où sortiront les mariages.
Ce qui est intéressant, c'est qu'ils ne sont le produit ni d'un choix ni de
l'intervention d'une instance supérieure (la famille) ; ils sont le produit de
dispositions sociales qu'on appelle amour... TRA L'amour pur serait alors I' exception, forcément éphémère. Et il ne semble pouvoir exister qu'hors du monde. N'est- il pas possible cependant que, même en se colletant au monde, aux contraintes sociales, il reste le plus fort? P.B. : Cela arrive. La littérature est remplie des
triomphes de l'amour pur. Dans la réalité, cette île enchantée sans violence, sans
domination, est vulnérable en diable. Ce n'est pas raisonnable, raisonnable voulant dire
conforme aux réalités sociales. C'est " miraculeux ", avec beaucoup
de guillemets, miraculeux sociologiquement : c'est peu probable, cela peut arriver, mais
cela a une chance sur mille. La réciprocité parfaite, l'émerveillement réciproque,
c'est voué au dépérissement... ne serait-ce que sous l'effet de la routine. TRA : Et si on chassait toutes les marques de la domination masculine, quelle serait la part possible, entre les hommes et les femmes, de la séduction (dont vous dîtes qu'elle est une reconnaissance implicite de la domination sexuelle), du jeu entre les êtres, voire du charme? P.B. : Certains intellectuels défendent la tradition
française de la courtoisie, en s'inquiétant de la voir mise en péril par ce
désenchantement actuel de la relation hommes/femmes. Ce genre d'attitude, qui va souvent
de pair avec la méfiance à l'égard du féminisme, m'est très antipathique parce que
c'est une manière moderne de s'en rapporter à de vieilles lunes. Ce n'est pas
intéressant et puis c'est faux. Est-ce que la lucidité sur les rapports entre les sexes,
ou sur les rapports sexuels en général, pourrait détruire tout enchantement? Je n'en
suis pas sûr. TRA : Quand on voit le succès de la pilule Viagra, on se dit que ce n'est pas demain la veille, tant la virilité reste une valeur et une angoisse... P.B. : Une angoisse parce qu'une valeur. Le succès de la
pilule Viagra n'est que l'attestation visible de ce qui se sait depuis longtemps dans les
cabinets médicaux ou psychanalytiques. |
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